La voie principale sous haute sécurité donnant accès au siège de la Présidence du Faso à Ouagadougou.

REFLEXION SUR LA REFORME DE LA PROCEDURE PENALE AU BURKINA FASO

 

POINT DE VUE

« Il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher que d’une main tremblante » Montesquieu, 1748.

 

Les changements opérés depuis plus d’une décennie dans l’instruction des affaires judiciaires à travers le monde, ont profondément modifié la conduite de la procédure de façon générale. Mais bien plus que de la procédure civile et commerciale, dont l’unité est assurée par les textes supranationaux comme les actes uniformes de l’OHADA dans les pays de l’UEMOA, c’est la procédure pénale, qui est souvent en cause, que ce soit au Burkina Faso ou ailleurs, de par le monde.

L’objet de la procédure pénale est la fixation des règles portant sur la recherche, la poursuite et le jugement des auteurs des infractions. C’est en quelque sorte le mode d’emploi pour les policiers, gendarmes et magistrats, le fondement des droits et devoirs qui les accompagnent dans l’enquête, allant de la constatation d’une infraction à la condamnation définitive de son auteur.

Dans notre organisation judiciaire, inspirée de celle de la France, le système inquisitoire prédomine nettement, ce qui donne l’impression au justiciable d’être pieds et poings liés face au juge d’instruction. Or, en toute circonstance, la possibilité doit être donnée, de façon perceptible au justiciable au pénal de se défendre tout au long de la procédure. Une réorientation de la procédure dans ce sens nécessitera un glissement vers le système «accusatoire», tel que cela a été constaté avec l’avant-projet de réforme du système judiciaire de la France rendu public le 1er mars 2010. Signalons que la France s’est référée également aux pays de l’Union européenne, dont beaucoup ont pris une longueur d’avance en matière de réorganisation de leur système judiciaire.

A court ou moyen terme, ces réformes sont appelées à influer sur l’organisation judiciaire des pays de droit français.

Aussi, il m’a paru utile, en cette période de renouveau démocratique, de faire un ensemble de propositions contributives d’organisation de notre système judiciaire, s’inspirant de ces précédents, en ayant en tête qu’il faut toujours partir des acquis existants pour faire l’économie d’errements inutiles.

  1. ATTRIBUTS ESSENTIELS DE LA JUSTICE DANS UN ETAT DE DROIT

L’Etat de droit est tributaire de la justice. Une justice crédible détermine l’efficacité de la sécurité d’Etat, la confiance des partenaires à l’investissement et la réussite des actions de développement.

  1. l’indépendance de l’institution judiciaire

Une grande partie de la réforme de la procédure pénale tourne autour des mécanismes visant à assurer une plus grande indépendance de la justice, afin de garantir les droits des justiciables.

Au Burkina Faso, cette indépendance est formellement acquise et les textes qui la fondent sont entre autres la Constitution du Burkina Faso, la loi organique n°50-2015/CNT du 25 août 2015 portant statut de la magistrature et la loi organique 049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation, composition attribution et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.

Les articles de la Constitution du 11 juin 1991, modifiée par la loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 y relatifs sont les suivants :

  • article 129 : « le pouvoir judiciaire est indépendant »;
  • article 131 : « le Président du Faso est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. En cette qualité, il préside chaque année, au cours du mois de novembre, une rencontre avec les membres du Conseil supérieur de la magistrature pour discuter des questions en rapport avec le renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire.….. »;
  • article 132 : « le premier président de la Cour de cassation est le président du Conseil supérieur de la magistrature. Le premier président du Conseil d’Etat en est le vice-président. » ;
  • article 133 : « Le Conseil supérieur de la magistrature donne son avis sur toute question concernant l’indépendance de la magistrature. »;
  • article 134 : « Le Conseil supérieur de la magistrature décide des nominations et des affectations des magistrats. »;
  • article 135 : « une loi organique fixe le statut de la magistrature dans le respect des principes contenus dans la présente Constitution. Elle prévoit et organise les garanties et l’indépendance de la magistrature. »

Cette liberté statutaire est réaffirmée par les lois organiques n°049-2015/CNT et n°50-2015/CNT du 25 août 2015 ci-dessus-citées.

Cependant, il n’existe pas de définition de l’indépendance de la justice dans les textes ou la jurisprudence. C’est donc de façon empirique que l’appréciation de l’indépendance de la justice est faite, de sorte que la constitutionnalisation du concept n’assure pas en soi la protection des droits des justiciables, même si certains éléments objectifs permettent d’y donner un contenu.

L’indépendance s’analyse comme la capacité du juge d’instruire une affaire et de rendre la décision en toute conscience, en se référant à la loi. Elle doit être assurée tant vis-à-vis des parties et du pouvoir exécutif, que des pouvoirs sociaux et des médias.

L’indépendance de la justice est la condition d’expression du devoir d’impartialité, principale qualité attendue d’un juge, en phase avec sa conscience et sa déontologie dans le traitement d’un dossier.

De notre avis, une réforme bien élaborée pourrait remédier aux aspects négatifs de notre système judiciaire et partant, assurer une plus grande indépendance de la justice et une impartialité plus affirmée du juge pour la sécurité des justiciables.

La prise des décrets d’application des lois d’organisation du corps judiciaire en fin de Transition pour les personnels des greffes et en Conseils des ministres du 23 mars 2016 pour les magistrats, permettra certainement d’apporter plus d’indépendance de l’institution judiciaire telle que souhaitée par les justiciables.

Néanmoins, les échanges permanents entre les acteurs doivent éviter le retour des états de rapports de force que l’on a connu, afin que la gouvernance judiciaire soit un pôle d’excellence de notre pays.

  1. le respect des principes directeurs de la procédure pénale

La procédure pénale doit être équitable et contradictoire ; elle doit préserver l’équilibre des droits des parties ; elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement.

Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.

La conduite de la poursuite pénale doit être guidée par le principe de la présomption d’innocence, c’est-à-dire l’interdiction de considérer qu’une personne est coupable, ou de la traiter comme telle, avant qu’elle n’ait été jugée et déclarée coupable par une juridiction habilitée.

La présomption d’innocence est un principe fondamental du système judiciaire français qui a été formalisé par l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et inscrit dans de multiples textes internationaux.

Telle qu’elle devrait être pratiquée par tous les Etats membres de l’ONU, la présomption se fonde sur l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, selon lequel « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auraient été assurées».

En tant que droit sacré et protégé, ce principe fondamental devrait être respecté par les autorités publiques et se manifester tout au long de la procédure pénale ; son atteinte doit être sanctionnée par la loi, assortie de possibilités de réparations.

Pourtant, dans maints pays, la justice est souvent amenée à maintenir des justiciables dans les liens de la détention provisoire, sans tenir compte du principe de la présomption d’innocence, toute chose qui constitue une grave atteinte aux droits de la défense.

L’importance de la question a amené la France à modifier le Code de procédure français par l’adoption de la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.

L’information des victimes et la garantie de leurs droits au cours de toute la procédure pénale, la possibilité pour toute personne condamnée de faire examiner cette décision de condamnation par une autre juridiction, sont autant de grands principes de la procédure pénale, qui s’associent à l’indépendance de la justice pour conforter la bonne administration de la justice dans un Etat de droit.

  1. PROPOSITIONS D’AXES DE REFORME DE LA PROCEDURE PENALE AU BURKINA

Montesquieu disait : « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher que d’une main tremblante ».

C’est dire que tout changement doit être bien pensé au risque de créer un système moins performant que le précédent abrogé.

En France, la réforme de la justice, calquée sur celle de l’Allemagne, a consisté à la suppression du Juge d’instruction et à son remplacement par le juge de l’enquête et des libertés (JEL), à l’instauration de mécanismes d’interaction complexes ayant pour objectif de créer un nouvel équilibre entre le juge d’instruction et le ministère public dans la conduite de l’instruction.

Contrairement à cette vision des réformateurs français et européens, de grands professionnels du droit estiment que le maintien du juge d’instruction, assorti d’un aménagement de ses fonctions est plus efficace dans la garantie d’une bonne administration de la justice, avis qui nous semble éclairé.

Cependant, toute réforme est préalablement conditionnée à la relecture en profondeur du Code de procédure pénale.

  1. la relecture du code de procédure pénale

Le Code de procédure pénale du Burkina Faso date de février 1968. Il a donc 48 ans en 2016. En 5 décennies, le contexte social, politique et juridique a fondamentalement changé et les droits des justiciables ont évolué conséquemment. Le Code de procédure pénale ne prend donc plus en compte l’expression actuelle de certains droits et devoirs des parties au procès, tout comme il ignore la manifestation actuelle de certaines infractions.

Aussi, la relecture profonde du Code de procédure pénale doit être le préalable à toute réforme de notre système judiciaire. Des travaux intéressants ont déjà été réalisés dans ce sens et restent à actualiser et opérationnaliser.

Cela passera également par l’harmonisation de notre corpus judiciaire avec les textes des organisations supra nationales dont le Burkina Faso est membre.

Dans le souci de se donner les moyens de combattre efficacement la criminalité grandissante et de renforcer la lutte antiterroriste, la France vient de modifier son Code pénal en ce mois de mars 2016, preuve que la matière pénale doit évoluer avec les infractions de chaque période.

  1. Le maintien du Ministère public sous l’autorité du Ministre de la Justice

Certains commentateurs ont mis en avant le fait que de par leur nomination, les procureurs sont soumis à la hiérarchie du Ministre de la justice dans le système français, et qu’en conséquence leur liberté de pensée et d’action n’est pas totale, d’où des risques de dérives. Cela pose le problème de l’indépendance du parquet.

Cette inquiétude se fonde sur le fait que dans le système français (dont nous avons hérité), le procureur de la République est en charge de l’application uniforme de la politique pénale sur le territoire par le biais de directives et consignes édictées par le garde des sceaux et les procureurs généraux près les cours d’appel. Il assure de ce fait une double mission : une mission régalienne, juridictionnelle mais aussi une mission politique qui peut emporter sur la régalienne.

Il s’ensuit que si le pouvoir exécutif estime qu’un justiciable (personne physique ou morale) mis en cause ne doit pas être poursuivi pour des raisons de préférence ou de protection, cela porterait atteinte à la bonne administration de la justice et donnerait lieu à une justice à deux vitesses, avec des personnages politiques dotés d’immunités de fait.

Le parquet est statutairement sous ordre, contrairement aux juges du siège (le juge d’instruction, notamment). Même si l’intégrité des magistrats parquetiers n’est pas à remettre en cause, la seule suspicion qui découle de l’apparence suffit à instaurer la méfiance, parce qu’il est difficile d’être en charge de la politique pénale et être indépendant. Par conséquent, l’idée d’un parquet indépendant, remplaçant le juge d’instruction n’est pas crédible, tel que le réformateur français organise le système judiciaire français actuellement.

Cependant, dans notre pays, la Loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 lève cette inquiétude lorsqu’elle dispose en son article 134 que « Le Conseil supérieur de la magistrature décide des nominations et des affectations des magistrats. ». La carrière du magistrat, qu’il soit du siège ou du parquet, ne dépend donc plus de l’exécutif, ce qui le rend plus libre de ses décisions.

Avec cette disposition, le procureur parait plus libre de ne pas exécuter des instructions qu’il estimerait contraires à son devoir d’impartialité, à l’obligation de respecter le principe de recherche de la vérité et de l’enquête à charge et à décharge. Cette liberté du parquet demeure essentielle pour la réforme de la procédure pénale.

Dans sa finalité, la réforme pourra se traduire par l’instauration d’un cadre unique de l’enquête judiciaire pénale, dirigée par le Parquet, en collaboration avec le juge d’instruction.

  1. la nécessité du maintien du Juge d’instruction dans ses fonctions

Le juge d’instruction possède des qualités essentielles pour garantir la bonne administration de la justice.

La première explication réside dans son indépendance, attribut tant recherché dans notre système judiciaire aujourd’hui. Cela signifie qu’il ne dépend pas du parquet qui se borne à « l’alimenter » et à lui adresser des réquisitions. Avec l’article 134 de la Constitution, cité ci-dessus, notre système pénal présente désormais l’avantage d’avoir une instruction menée par un magistrat indépendant.

Ensuite, il est inamovible, c’est-à-dire qu’il ne peut être muté contre son gré, sauf motif disciplinaire. Une fois qu’il est saisi d’un dossier, il n’a de comptes à rendre à personne (sauf à sa conscience) et ne peut en être dessaisi que pour motif grave.

Il apparaît donc que le juge d’instruction constitue un gage de sécurité contre l’émotion de l’opinion publique, contrairement au juge du parquet qui peut être influencé par le biais du Garde des sceaux, entraîné à son tour par le Gouvernement soumis à la pression médiatique.

L’indépendance statutaire se double du devoir d’impartialité, condition de l’instruction à charge et à décharge, même s’il parait regrettable que certains juges n’instruisent qu’à charge, ce qui ne saurait gommer, ni le principe légal, ni la pratique dominante de la grande majorité des magistrats conscients de leurs responsabilités, qui le font à charge et à décharge, de façon professionnelle.

  1. La création de pôles d’instruction auprès des tribunaux de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso

En France, le comité de réforme de la procédure pénale a convaincu l’exécutif de la nécessité de la suppression du juge d’instruction. Les détracteurs du juge d’instruction le décrivent souvent comme un homme investi de grands pouvoirs, mais qui prend seul des décisions graves et importantes, avec des risques de favoritisme, d’abus ou d’erreurs.

Néanmoins, il apparaît clairement que le juge d’instruction ne peut pas se permettre d’agir de façon solitaire, dès lors qu’il est en rapport et dialogue avec le parquet, les experts, les enquêteurs, les représentants de la défense et des parties civiles.

Du reste, les risques d’erreur, de favoritisme et d’abus existent dans tout système judiciaire, qu’il soit inquisitoire comme dans le système français ou contradictoire comme dans le système anglo-saxon. Les erreurs judiciaires légendaires du système judiciaire américain (qui est contradictoire) sont éloquentes à ce propos.

La solution à envisager pour notre justice consiste entre autres en la création d’un organe collégial d’instruction dans les tribunaux de grande instance de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso à l’instar de la France qui, faisant suite à l’affaire dite d’Outreau des années 2000, a prévu par la Loi française du 5 mars 2007, la création de pôles d’instruction, regroupant au moins trois (03) juges dans certains tribunaux de grande instance. Ces organes collégiaux sont chargés de connaitre les affaires les plus importantes, afin d’éviter la survenance des erreurs graves constatées.

Il ne s’agit nullement de mettre en cause la probité ou la compétence des juges, mais de réduire les risques d’insuffisances de diverses formes préjudiciables aux justiciables.

Un tel collège de trois juges paraît être une solution avantageuse à de nombreux égards. Ainsi, elle permet de rétablir le sentiment d’impartialité et d’équilibre et de réduire les risques d’erreurs, ce qui est un gage de sécurité pour le suspect.

L’efficacité de cette collégialité est cependant tributaire et redevable de la qualité des juges, parce que la pratique a montré que le fonctionnement collégial peut être dénaturé pour diverses raisons, tout comme des juges moins expérimentés peuvent être tentés de s’en remettre à l’appréciation d’un plus expérimenté, ce qui aura pour effet de fausser les conclusions collégiales attendues.

  1. La montée du contradictoire

Dans la théorie, la procédure pénale doit permettre un équilibre entre le respect des libertés individuelles et la protection de la société. Mais ce n’est le cas, ni avec le système accusatoire (majoritairement dans les pays de droit anglo-saxon), où chaque partie apporte ses éléments et le juge joue essentiellement un rôle d’arbitre, ni avec le système inquisitoire (essentiellement dans les pays de droit français), dans lequel le juge mène l’enquête de bout en bout et rédige une procédure secrète et non contradictoire.

Le système inquisitoire a l’avantage d’instituer un juge d’instruction objectif agissant à charge et à décharge et cherchant une «vérité judiciaire neutre ». Ce système semble préférable au système accusatoire utilisé dans les systèmes pénaux anglo-saxons.

Cependant, l’introduction d’une dose de contradictoire dans la procédure inquisitoire est indispensable pour assurer l’éclosion de la vérité et l’égalité des citoyens devant la Loi.

Le premier point d’une réforme de notre système judiciaire pourrait consister à évoluer vers un système «accusatoire» en apportant des aménagements aux pouvoirs et attributions du juge d’instruction et en assurant l’expression pleine des droits des prévenus.

  1. Le renforcement du respect des droits de la défense

Peu réglementée à l’origine et ressortant essentiellement d’une activité de police judiciaire d’information, l’enquête préliminaire est devenue depuis quelques décennies un outil particulièrement efficace tendant à rapporter les preuves nécessaires à la manifestation de la vérité judiciaire. Le respect des droits des personnes est longtemps resté en deçà de cette évolution.

En outre, une grande partie des affaires pénales est toujours mise en état, au stade de l’enquête, selon une procédure peu contradictoire dans laquelle les droits des personnes sont réduits et la défense mal représentée, sinon inexistante selon les pays.

Or, il est aujourd’hui avéré que les droits du justiciable, désormais érigés en Droits de l’Homme, font l’objet de l’attention soutenue des textes et instruments internationaux portant promotion et protection des garanties fondamentales.

Notre pays est membre de l’UEMOA et la dernière mouture du règlement n°05/CM/UEMOA datée du 25 septembre 2014, relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocats dans l’espace UEMOA est clair sur les droits de la défense. Son article 5 dispose en substance que les Avocats assistent leurs clients dès leur interpellation, dans les locaux de la police, de la gendarmerie, ou devant le parquet et qu’ils assistent et défendent leurs clients dès la première comparution devant le juge d’instruction.

En attendant la relecture du Code de procédure de notre pays, beaucoup de ces mesures de défense des droits du justiciable sont fort heureusement autorisées par des textes à caractère règlementaires. Mais leur application n’est pas toujours bien vue par les officiers de police judiciaire. Un réel travail de fond doit être fait à ce niveau tout comme un travail d’information s’avère nécessaire auprès des populations pour que les garanties légales accordées à la défense soient comprises et acceptées, tant au cours de la phase de l’enquête pénale qu’au cours de l’audience de jugement elle-même.

Les plus hautes autorités du pays doivent également donner l’exemple en acceptant l’application des dispositions ou des décisions des instances et juridictions supranationales. Or, à une date récente, l’application d’une décision de la Cour de justice de la CEDEAO ainsi que du règlement n°05/CM/UEMOA du 25 septembre 2014 régissant la profession d’avocats dans l’espace UEMOA au bénéfice de justiciables nationaux s’est heurtée chaque fois au refus de l’autorité requise.

Le principe de la hiérarchie des normes garantit le bon fonctionnement de l’Etat de droit et assure la sécurité juridique de tout citoyen, gouvernant ou gouverné, à tout stade de sa vie.

  1. La séparation des juridictions de l’instruction et de jugement

En matière pénale, la poursuite incombe au ministère public, l’instruction des affaires relève du juge d’instruction, et le jugement est laissé aux juridictions de jugement.

Cette consécration du principe de la séparation et de l’incompatibilité des fonctions de la poursuite, de l’instruction et du jugement est essentielle parce qu’elle soulève la question de l’impartialité du juge d’instruction dans l’exercice de ses fonctions.

L’acte d’instruction n’est pas défini par la loi ; mais il a pour objet de constater l’infraction, et d’en découvrir ou d’en connaitre les auteurs. A ce titre, tout acte d’instruction est incompatible avec la mission de jugement, quel qu’en soit le motif, parce que dans la phase d’instruction, le juge se fait une opinion sur la culpabilité et n’offre plus les garanties d’impartialité requises.

Or, en droit français et même en celui positif, une confusion existe toujours entre les juridictions d’instruction et de jugement dans certaines procédures, toute chose qui a sous-tendu la demande de suppression de la juridiction du juge d’instruction en France.

Ainsi, le juge d’instruction est amené à accomplir deux catégories d’actes au cours de l’information judiciaire : des actes d’instruction et des actes de juridiction :

Les actes d’instruction qui peuvent consister à ordonner des expertises et des reconstitutions, visent à rechercher des preuves pour faire éclater la vérité. Le juge d’instruction porte alors la casquette de policier.

Les actes de juridiction sont des décisions de justice ayant un impact sur l’instruction telles que des ordonnances de refus d’informer, de non-lieu, de renvoi devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assise, de placement sous contrôle judiciaire. Dans ce cas, le juge revêt son habit de juge.

C’est cette ambivalence des fonctions du juge d’instruction qui est dénoncée par certains et qui leur fera dire que l’on ne peut pas être à la fois juge et chargé d’une fonction d’enquête.

L’idéal est que le magistrat qui a fait un acte de poursuite dans une affaire ne puisse procéder à des actes d’instruction, ni participer au jugement dans cette même affaire. De même, le juge d’instruction ne devrait pas siéger dans la juridiction qui connait d’une affaire qu’il a instruite, et ce, quelle que soit la nature de l’affaire.

Une réforme profonde pourrait apporter des modifications dans l’exercice des attributions de ces autorités dans le souci d’une meilleure administration de la justice, même si la frontière entre l’acte d’instruction et de jugement n’est pas facile à établir.

  1. L’opérationnalisation des pôles judiciaires spécialisés dans la répression des infractions économiques et financières

La création des pôles judiciaires spécialisés dont le projet de loi a été adopté en Conseil des ministres du 3 février 2016 constituera une avancée certaine dans la répression des infractions économiques et financières.

Ledit projet de loi sera sans nul doute plus affiné en commission avant le vote au Parlement pour tenir compte des observations des praticiens et des usagers du droit et autres experts financiers attitrés.

Néanmoins, en raison de l’importance de son contenu sur les triples plan juridique, économique et social, des compétences étrangères devraient être requises pour la parfaire afin d’éviter le vote d’un texte inapplicable in fine.

Du reste, elle doit être examinée au regard de la loi n°04-2015/CNT du 03 mars 2015 portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso qui a trait à des questions similaires.

En outre, l’opérationnalisation de ladite loi nécessitera beaucoup de volonté politique des gouvernants qui devront en accepter les conséquences sociales, politiques et économiques tout comme ils devront assurer la mise à niveau et l’équipement des juges appelés à exercer de nouvelles compétences.

  1. Le vote de lois de réglementation des mouvements sectaires et d’autodéfense

S’il est vrai que la laïcité nécessite la neutralité des pouvoirs publics face aux religions, l’on constate de plus en plus une montée de l’extrémisme, qui nécessite un contrôle de certaines activités des organisations religieuses. Or, le principe de la liberté d’association qui fonde la loi 064-2015/CNT du 20 octobre 2015 (a remplacé la célèbre loi n°10/92 ADP du 15 octobre 1992 portant liberté d’association) ne permet pas à priori d’écarter les mouvements à caractère sectaire. Il serait donc bienséant d’adopter des textes complémentaires régissant les mouvements sectaires en complément de la loi portant liberté d’association, à l’instar de la loi française du 12 juin 2001 portant prévention et répression des mouvements sectaires.

Cette législation complémentaire pourrait renforcer le contrôle de l’Etat sur le fonctionnement des organisations associatives et sanctionner les délits de manipulation mentale et les abus de l’état d’ignorance des citoyens dont les fondateurs de ces mouvements se rendraient coupables.

Elle pourrait permettre également un contrôle des organisations d’auto-défense, dont les actions sont au centre des préoccupations depuis quelques temps dans notre pays.

Celles-ci ont en commun avec les mouvements sectaires, d’avoir une éthique souvent attentatoire aux droits des citoyens et d’utiliser des méthodes particulières qui peuvent contrevenir aux principes de l’Etat de droit. Or quel que soit la finalité des actions d’une organisation, les moyens de les atteindre doivent être conformes aux préceptes édictés par l’Etat.

  1. La création d’une fonction de Procureur Général de la Nation

Le système judiciaire du Burkina Faso est caractérisé par l’existence de 2 parquets généraux placés sous la responsabilité directe du Ministre de la Justice et nous avons évoqué plus haut les suspicions qui pèsent sur l’indépendance du parquet.

Aussi, la création d’une fonction de Procureur Général de la Nation (la bonne dénomination reste à trouver), placée entre les parquets généraux et le Ministre de la Justice serait une innovation intéressante et poursuivrait un double objectif : renforcer la cohérence du Parquet afin que la loi soit appliquée de manière égale sur l’ensemble du territoire national d’une part, et d’autre part, éviter que le Garde des Sceaux adresse aux deux Procureurs Généraux des «instructions individuelles» écrites, qui font douter de l’indépendance des magistrats, fussent-ils du Parquet, à l’égard du pouvoir politique.

  1. L’implication des acteurs de la justice dans la réflexion de la réforme

Une des faiblesses de la réforme judiciaire entreprise en France a été de n’avoir pas associé les acteurs de la justice (magistrats, avocats) à la réflexion, ce qui a conduit le Syndicat des Avocats Libres (COSAL) à critiquer le contexte de la réforme, son contenu et l’absence de moyens mis en œuvre pour la reforme. Le rapport du Comité d’élaboration, malgré sa pertinence, a de ce fait été perçu comme une proposition de l’exécutif, ce qui n’a pas permis son appropriation par les praticiens du droit, comme il se devait.

Aussi, toute réforme doit tenir compte des avis des professionnels et des praticiens du droit. Mais elle doit surtout se faire AVEC le juge, théoriquement autonome et séparé des deux autres pouvoirs de l’Etat, et parce que son statut ne doit pas être discuté en son absence, au risque d’élaborer des textes à son détriment et aboutir à une impasse.

Cela est d’autant plus important que le caractère participatif de tous assurera l’acceptation des nouvelles dispositions et leur bonne exécution.

CONCLUSION

Le Burkina Faso est un pays de droit français. L’expérience de notre système judiciaire n’est peut-être pas au stade des systèmes Européens. Mais Gérer, c’est prévoir.

Il n’est donc pas superflu d’engager des réflexions en vue de concevoir un système judiciaire conforme à nos particularités, mais respectueux des grands principes du droit.

Cependant, quelle que soit la réforme envisagée, elle doit, pour être viable et acceptée, être respectueuse des droits de l’Homme et protectrice des acteurs du développement. C’est à cette condition que le juge, gardien des libertés individuelles et collectives, pourra assurer son rôle de dernier refuge du citoyen contre la tyrannie des gouvernants, et que la justice pourra assurer son rôle de 3ème pouvoir de la République.

Enfin, je n’ai pas la prétention de délivrer des propositions achevées à travers cette réflexion. Je me permets seulement de les exprimer, parce que de mon avis, la plume, prolongement de la liberté d’expression, est libre.

Ouaga, le 28 mars 2016

Sanou Drissa

Ma plume m’appartient !

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