REPORTAGE
Au cœur de la région de la Boucle du Mouhoun, où la terre reste le premier moteur économique, une révolution silencieuse s’opère. Pas une révolution de rues ou de slogans. Mais une révolution de savoir-faire, de prise de conscience et de renforcement des compétences. De Boromo à Dédougou, en passant par les villages les plus reculés, des femmes longtemps cantonnées à la marge du développement économique et social s’organisent, se forment et affirment désormais leur place dans la gouvernance locale.
À l’origine de cette dynamique, un projet discret mais ambitieux : la Promotion de l’Égalité de Genre et de l’Autonomisation Économique des Femmes, connu sous son acronyme PEG. Mis en œuvre entre 2022 et 2024 par Echos Communication et ses partenaires, dont le Conseil régional de la Boucle du Mouhoun, il s’est fixé une mission complexe : faire émerger, dans un contexte marqué par la pauvreté, l’insécurité et le déplacement forcé de populations, une génération de femmes leaders capables d’agir pour elles-mêmes et pour leurs communautés.
Doté d’un budget d’un million d’euro, co-financé par Le Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire (DGD) de Belgique, mis en œuvre par l’ONG Belge Echos Communication et ses partenaires, il cible trois zones pilotes : la région de l’Oriental au Maroc, la Boucle du Mouhoun au Burkina Faso et le département de Kaolack au Sénégal.
Le diagnostic de départ était sans appel. Dans cette région où les femmes représentent pourtant plus de la moitié de la population active, les organisations qui les rassemblent souffraient d’un déficit criant de structuration et de compétences. Manque de gouvernance claire, absence de comptes bancaires, méconnaissance des pratiques éthiques élémentaires… Le constat dressé par les équipes du PEG dès les premières sessions de travail à Boromo révélait une réalité largement partagée par l’ensemble des dix associations locales engagées.
Mme Disseta Zanze Traoré, présidente de l’Association Solidarité et Développement Communautaire (ASDC), témoigne : « Beaucoup d’entre nous ne connaissaient même pas les règles de base d’une gestion saine. On ignorait qu’un compte bancaire au nom de l’association est une exigence de transparence, pas une formalité administrative. »
Un manque de structuration qui fragilisait leur action collective et limitait leur accès aux financements. C’est à partir de ce constat que le projet a conçu un parcours d’accompagnement au changement, associant des formations ciblées, des sessions pratiques et un suivi individualisé. Les thématiques abordées – gouvernance associative, gestion financière, leadership féminin, communication digitale – ont rapidement permis aux participantes de prendre conscience des leviers dont elles pouvaient désormais s’emparer.
Une dynamique collective en marche
« Ce projet est arrivé à point nommé pour structurer notre engagement et professionnaliser notre action collective », souligne Mme Yerizon Kanko, présidente de l’Association pour le Développement du Mouhoun et des Balé (ADMB).
Les formations, organisées tout au long de l’année 2023, ont rassemblé plus de 30 participantes et participants, représentant une quinzaine d’organisations issues de la province du Balé. Chacune de ces sessions est devenue un espace d’échange, de confrontation d’expériences et de construction collective. Les échanges, souvent nourris, ont permis de lever des malentendus fréquents entre les statuts de coopérative et d’association, ou encore sur l’importance des comptes rendus d’activités pour assurer la cohésion et la transparence.
« Avant, on avançait à l’aveugle. Aujourd’hui, nous comprenons mieux l’importance de rendre compte de nos décisions et de nos actions », confie Mme Traoré.

Le virage numérique, une révolution inattendue
Mais l’une des transformations les plus marquantes reste sans doute celle de l’ouverture au numérique. La création de pages Facebook, de groupes WhatsApp et de comptes de messagerie électronique a ouvert aux participantes des perspectives insoupçonnées. Visibilité, mise en réseau, promotion des activités économiques : des mots qui, hier encore, semblaient hors de portée.
« C’est une vraie révolution pour nos associations », affirme Mme Kanko.
« Grâce aux réseaux sociaux, nous pouvons enfin montrer ce que nous savons faire, toucher de nouveaux partenaires et commercialiser nos produits au-delà de Boromo. »
Cet usage des outils numériques est désormais perçu comme un levier stratégique pour sortir de l’isolement et donner une visibilité nouvelle à des savoir-faire locaux souvent méconnus.
Une inclusion des femmes déplacées internes, un défi relevé
Le projet PEG s’est également distingué par sa capacité à intégrer les femmes déplacées internes, particulièrement vulnérables dans ce contexte marqué par l’insécurité. Certaines zones de la région, devenues inaccessibles, ont contraint des milliers de familles à fuir vers des zones plus sûres, souvent dans des conditions précaires.
Tiegna T. Jacques Armand, Directeur de l’Action Économique du Conseil régional et point focal du projet PEG dans la Boucle du Mouhoun, revient sur ce défi : « Nous avons maximisé nos efforts dans les zones sécurisées pour ne pas abandonner ces populations. Nous avons travaillé étroitement avec les services de l’action humanitaire pour identifier les femmes déplacées, évaluer leurs besoins et les intégrer dans nos dispositifs d’accompagnement. »
Cette collaboration étroite avec la direction de l’action humanitaire a permis de cibler des femmes souvent invisibilisées, en tenant compte de leurs parcours de vie brisés par la violence. Les entretiens individuels, menés avec délicatesse, ont permis de reconstruire une relation de confiance, préalable indispensable à toute démarche d’autonomisation.

Former pour mieux résister
Pour ces femmes, la formation est apparue comme une bouée de sauvetage. Elle leur a offert des outils pour se reconstruire, mais aussi pour reprendre pied économiquement. Le projet PEG les a accompagnées dans la gestion financière, la création de petites activités génératrices de revenus et l’intégration dans des réseaux solidaires.
« Ce que nous avons appris va au-delà des formations. C’est une nouvelle manière d’envisager notre avenir, de nous voir comme des actrices capables d’apporter des solutions », explique Mme Kanko.
Le projet PEG s’inscrit pleinement dans les priorités définies par la Politique Nationale Genre (PNG) adoptée par le Burkina Faso en 2009. Il répond également aux Objectifs de Développement Durable (ODD), notamment l’égalité entre les sexes (ODD 5), la croissance économique inclusive (ODD 8), la réduction des inégalités (ODD 10), le développement des communautés durables (ODD 11), la promotion de sociétés pacifiques (ODD 16) et le renforcement des partenariats (ODD 17).
Un ancrage institutionnel qui confère à l’expérience de la Boucle du Mouhoun une portée qui dépasse les seules frontières régionales.
Malgré les avancées notables, tous les acteurs s’accordent à reconnaître que la pérennisation des acquis reste le plus grand défi. Les besoins restent immenses et les ressources limitées. Les participantes elles-mêmes en sont conscientes.
« Nous avons beaucoup appris, mais le défi est maintenant de continuer sans relâche, de maintenir cette dynamique collective », insiste Mme Traoré.
Le Conseil régional et ses partenaires envisagent déjà la suite, avec l’espoir que l’expérience de Boromo puisse inspirer d’autres régions du Burkina Faso confrontées aux mêmes enjeux.
Une expérience transposable
Interrogé sur les enseignements de cette initiative, Tiegna T. Jacques Armand estime que la clé réside dans l’approche participative et contextualisée adoptée par le projet PEG.
« Ce qui a fait la force de notre démarche, c’est d’avoir pris le temps d’écouter les femmes, de comprendre leurs réalités et de bâtir les solutions avec elles. Ce modèle peut être transposé ailleurs, à condition d’adapter les outils et les méthodes à chaque contexte. »
À Boromo, les pages Facebook des associations locales s’animent désormais de publications régulières. Les comptes bancaires sont ouverts, les statuts révisés, les pratiques améliorées. Mais, plus encore que les outils, c’est une nouvelle posture qui émerge : celle de femmes debout, conscientes de leurs droits et prêtes à défendre leur place dans la société.
Rien n’est encore gagné. Les blocages culturels, les résistances institutionnelles et les défis économiques restent nombreux. Mais une certitude s’impose : les femmes de la Boucle du Mouhoun ont amorcé une marche irréversible.
Entretien avec Tiegna T. Jacques Armand, point focal du projet PEG dans la région

Mis en œuvre de 2022 à 2024 par Echos Communication et ses partenaires, dont le Conseil régional de la Boucle du Mouhoun au Burkina Faso, le projet de Promotion de l’égalité de genre et de l’autonomisation économique des femmes (PEG) vise à mobiliser, relier et renforcer les compétences des acteurs de la société civile et des pouvoirs publics autour de cette thématique essentielle.
Dans cet entretien, Tiegna T. Jacques Armand, Directeur de l’Action Économique du Conseil régional et point focal du projet PEG dans la région, revient sur les actions menées en faveur des femmes déplacées internes, les stratégies de collaboration mises en place avec les services de l’action humanitaire, et les enseignements tirés d’une expérience menée dans un contexte de crise.
Pouvez-vous nous parler de la mise en œuvre du PEG dans la Boucle du Mouhoun ?
Le projet PEG a été mis en œuvre en tenant compte du contexte particulier de la région, notamment les contraintes sécuritaires. Certaines zones sont restées inaccessibles, ce qui a entraîné des déplacements de population vers des zones plus sécurisées. Nous avons concentré nos efforts dans ces zones d’accueil afin d’appuyer les personnes déplacées, en mettant l’accent sur les femmes et les personnes en situation de handicap.
Comment avez-vous réussi à adapter votre intervention face à ces contraintes sécuritaires majeures qui limitent l’accès à certaines zones ?
Nous avons apporté un appui sous forme de formations, d’accompagnement à l’insertion socio-professionnelle, et de renforcement des capacités, dans l’objectif de favoriser la résilience des personnes déplacées. Ces bénéficiaires ont été intégrés au cœur de nos dispositifs dans le cadre du projet PEG.
Dans le même esprit, les préoccupations spécifiques des femmes déplacées internes ont été systématiquement prises en compte. Pour cela, nous avons élaboré une stratégie en collaboration avec les services en charge des questions de déplacés internes. Au Burkina Faso, la Direction de l’action humanitaire est l’organe chargé d’accompagner ces populations, femmes et hommes, afin d’assurer leur intégration dans les dispositifs d’appui mis en œuvre par l’État ou ses partenaires.
En quoi ce partenariat avec la Direction de l’action humanitaire a-t-il été déterminant pour toucher ces femmes souvent invisibilisées ?
Nous avons établi un partenariat avec les services de l’action humanitaire afin d’effectuer un ciblage fondé sur les besoins identifiés. Ce ciblage a permis d’identifier de manière spécifique les femmes déplacées internes, souvent peu visibles dans les dispositifs classiques. Une fois cette identification faite, nous avons mené des entretiens avec elles pour évaluer leur motivation et leur expliquer les modalités de notre accompagnement.
Quelles attentes ou besoins particuliers ces femmes déplacées ont-elles exprimés lors des entretiens que vous avez menés ?
Les entretiens ont également inclus des sessions individuelles, ce qui nous a permis de mieux cerner leurs préoccupations et de prendre en compte leurs besoins spécifiques. Cette approche nous a permis d’ajuster notre intervention en fonction de leur réalité et de leurs aspirations.
Dans l’ensemble des activités du projet PEG, ces préoccupations ont été intégrées. La stratégie adoptée reposait sur une coordination étroite avec les services compétents. La Direction de l’action humanitaire, au niveau national, veille à ce que les femmes et les personnes en situation de vulnérabilité soient effectivement incluses dans les dispositifs mis en place par l’État ou ses partenaires.
Quels enseignements ce processus de ciblage et d’accompagnement peut-il offrir à d’autres régions confrontées à des dynamiques similaires ?
Ce processus a mis en évidence l’importance d’une approche personnalisée et participative. Les entretiens individuels, en particulier, ont été essentiels pour mieux comprendre les attentes des femmes déplacées et adapter les réponses apportées. Il montre que la collaboration entre les acteurs locaux, les services techniques et les structures humanitaires permet d’assurer une prise en charge plus juste, plus ciblée, et plus efficace. C’est une expérience transférable à d’autres régions confrontées aux mêmes enjeux.
Laborpresse.net Lundi 19 Mai 2025